Geste du combat mémorable qui jadis opposa pucelles Bretonnes et Normandes
Sagesse populaire a coutume de dire
Que faibles femmes doivent au foyer languir,
Que guerres et combats sont affaires viriles,
Qu'aux hommes va la Gloire, aux femmes oeuvres viles.
Sagesse populaire n'est ni droite ni sage,
L'histoire que voici le prouve davantage.
Si ai-je ouï conter qu'aux frontières normandes
Avecque la Bretagne, eut lieu bataille grande
Entre ardentes garces cherchant à raviver
La Querelle ancienne qu'hommes avinés
Avaient pour un temps délaissée dans les tavernes,
Buvant leur lâcheté et contant balivernes.
Mais voici qu'au Levant, Kcenia la Belliqueuse
Paraît sur sa charrette et se dresse orgueilleuse :
"Bretonnes, mes amies, allons voir ces drôlesses
Qui de calva se gorgent! Tirons-leur les tresses,
Que rougeoient leurs postérieurs sous nos ceinturons,
Lavons leurs coeurs impurs dans une auge à cochon!"
A ce cri Bretonnes affluent de toutes parts
Mais tartes normandes vont tantôt recevoir.
Car Dame Rohana, fière et rusée marchande
Avait organisé résistance Normande
Nombreuse tant et plus, et à coups de chaussettes
Voulut empuantir le Duché des Galettes.
Peut s'en faut que mourût dans cet acte brutal
Tout le peuple breton jusqu'au Pays de Galles.
A ce point la guerre devint inévitable,
Sanguinaire, effroyable, absolue, lamentable.
Ces harpyes au Ponant se donnent rendez-vous,
Et ivres de chouchen, de bière et de courroux,
Engagent la bataille à grands coups de poissons,
Tomates avariées, carcasses de moutons.
Formidable combat dont résonne le ciel!
La mer gronde en écho ses hauts faits immortels!
Pugilat de Titans, affrontement de bêtes,
Héroïnes farouches parées de bouclettes!
Doigts délicats souillés de viles immondices,
Bras blancs et pieds menus subissant le supplice!
Et soudain, le silence, angoisse des regards,
Puis déchirant la nuit un cri de désespoir :
"Un tonneau de calva naufragé dans la boue!"
Les guerrières livides oublient leurs courroux
Et se ruent au secours du barril en danger ;
Toutes de s'abreuver, toutes de s'imbiber.
C'est alors qu'est lancée la plus rude bataille!
A ce combat des chefs, l'homme n'est pas de taille:
Car nos Rouées Normandes et Fieffées Bretonnes
Se repurent d'alcool tant comme vraies bombonnes,
Tant de tonneaux vuidèrent que dans la région
Toute une année y eut pénurie de boisson!
Ainsi se termina la mémorable guerre,
Pourtant il ne serait pas honnête de taire
Qu'aux dires de certains, des hommes s'immiscèrent
Au sein de la mêlée, déguisés en guerrières,
Preuve en est qu'au moment de ramasser ses armes
Une jeune pucelle fondit soudain en larmes,
Car découvrit gisant, ratatiné et glabre,
Sauvagement tranché d'un maître coup de sabre
De son fiancé le membre sanguinolant,
Et sut que serait pucelle éternellement!
Par Solaros